L'occupation allemande
I) Ecole des garçons de Rousies, dirigée par Eugène Pecqueux. (22 juin 1920)
a) les Allemands ont pris possession de Rousies le 7 septembre 1914.
b) Pendant les journées du 5 et 6 septembre, Rousies subit un bombardement violent. Une batterie française de 75 était installée dans la commune. Elle changea plusieurs fois de position, mais chaque fois elle était repérée. Le centre du village fut en partie détruit: l'école, la mairie, plusieurs maisons, deux usines.
L'artillerie s'étant retirée et installée à Ferrière la Grande où avaient déjà été évacuées les ambulances de la commune, il y eut quelques combats d'infanterie, notamment dans le bois des Bons Pères où trois marsouins furent tués, et dans la partie est du village, où plusieurs soldats français trouvèrent la mort.
Le gros des troupes s'étant replié sur Ferrière la Grande, le 7 septembre vers le soir, on vit arriver les premiers allemands. Le village, étant en grande partie évacué, il ne restait que quelques habitants dont plusieurs eurent maille à partir avec les premiers occupants; ils prirent en outre pour otage une vieille femme âgée de plus de 80 ans. Un casque à pointe posé sur la tombe d'un allemand ayant disparu, ils menacèrent de bruler le village si le casque n'était pas retrouvé.
La commune fut occupée par un détachement commandé par un lieutenant qui s'installa près de la gare. Il fit d'abord rechercher toutes les armes se trouvant dans la commune, ensuite il fit rassembler les jeunes pour visiter le Bois des Bons Pères à la recherche des corps des soldats tués, fit ensuite procéder au nettoyage des rues, au recensement du bétail militaire, car un troupeau de siège existait dans la commune. Il ordonna ensuite des perquisitions dans les maisons afin de trouver les denrées que les civils avaient enlevées des magasins militaires.
Rousies, comme toutes les communes des cantons de Maubeuge, fut rattachée au gouvernement belge jusqu'en octobre 1916, époque où il devint territoire d'étape. Sous le régime belge, à part les restrictions apportées à la circulation, cartes d'identité et (blanc), on n'eut pas trop à souffrir du régime boche. Avec le régime d'étape, cela changea. L'ère des tracasseries commença: levées d'hommes, réquisitions de toutes sortes, travail forcé. Il y avait entre autres un commandant à Boussois qui, un jour, pour justifier les mesures draconiennes qu'il prenait, s'empressait de dire: « l'Allemagne ne voulait pas la guerre, c'est vous Français qui nous avez attaqués; c'est la faute de votre Poincaré; coupez le cou à Poincaré et la guerre finira ».
Si l'on avait pu collectionner tous les ordres ou prescriptions émanant de l'autorité ennemie, et où se manifestait plus spécialement son système de guerre aux civils, il serait intéressant de les consulter, on verrait avec quelle méthode ils procédaient pour ruiner le pays qu'ils occupaient. Quand nous partirons, dit un jour des occupants, nous ne laisserons que le ciel et la terre. Ils ont tenu parole. Ils n'ont rien laissé, si ce n'est le peu de bétail qu'il restait, qu'ils n'ont pas eu le temps d'enlever, le chef de culture ayant déclaré qu'il préférait filer que de s'attarder à enlever le bétail. Il n'a sans doute pas filé assez vite car il a dû être fait prisonnier en Belgique.
Ils ont définitivement quitté la commune le 9 novembre au matin après avoir essayé en vain de faire sauter le pont de la Solre. Néanmoins ils se sont vengés bien brutalement. Vers midi, tandis que le premier soldat anglais faisait son apparition dans la commune, les obus boches tombaient sur le village, tuant d'abord une jeune fille et blessant un homme. Dans l'après midi, ils lancèrent des obus à gaz asphyxiants et le soir, on comptait en tout 15 victimes civiles dont 5 enfants des écoles.
Des rapports de l'autorité ennemie avec la population scolaire.
a) Les établissements d'instruction ont été ouverts pendant la guerre. L'école des garçons a été complétement détruite le 6 septembre 1914 par des obus incendiaires. Seules les tables qui se trouvaient dans la cour au dessus du préau, les classes ayant été évacuées pour servir de pharmacie et d'infirmerie, ont été sauvées. Malgré cela, l'école des garçons a été ouverte le 5 octobre 1914 au patronage, local de fortune, peu convenable pour une école, mais où, néanmoins, les enfants étaient à l'abri et ne trainaient pas les rues. L'école a fonctionné régulièrement jusqu'au 7 février 1917, époque à laquelle sous prétexte d'économie de chauffage, l'autorité allemande a fait fermer les écoles.
Ouverte à nouveau le 6 mai suivant, la classe se fit le matin seulement, l'après midi étant réservé aux travaux des champs, et cela sans interruption à l'époque des vacances jusqu'en novembre 1917.
Le 6 novembre l'école fut de nouveau fermée, toujours pour économie de chauffage.
Le 19 mars 1918, par suite d'une entente entre le maire et l'instituteur (l'autorité allemande n'ayant plus l'air de s'occuper de l'école), et pour éviter la colonne aux adolescents (il y avait alors 14 jeunes gens de la commune, élèves du collège et de l'école pratique de Maubeuge, qui momentanément privés de laisser-passer, étaient sans emploi), on ouvrit l'école de nouveau afin d'éviter la colonne de travail aux enfants de 14 à 18 ans qui étaient inoccupés. Ces élèves du collège et de l'école pratique fréquentèrent l'école des garçons de Rousies jusqu'au 15 juin 1918, époque à laquelle leur laisser-passer pour Maubeuge leur fut rendu.
L'école a fonctionné régulièrement 3 jours par semaine (les trois autres étant réservés aux filles, leur local étant occupé par les troupes) jusqu'à l'armistice.
b) le 15 janvier 1915, le gouvernement de Maubeuge a, par voie d'affiche, donné l'ordre aux fonctionnaires de l'état et du département d'avoir à reprendre leurs fonctions, si toutefois ils ne l'avaient déjà fait.
Le 8 février 1915, les instituteurs furent avisés que l'autorité allemande allait payer les fonctionnaires de l'état et du département avec l'argent des contribuables, mais qu'ils devaient au préalable signer une déclaration dont je n'ai plus l'original, et qui a été quelque peu modifiée.
Dans le courant du mois de mai 1915, le gouvernement civil ayant sans doute appris que des instituteurs ou des institutrices exerçaient sans son autorisation envoya une note à ce sujet.
En juillet 1915 nous avons été avisés par l’intermédiaire de la mairie de la date des vacances fixée par le gouvernement civil de Maubeuge.
Le 10 février 1917, la Kommandantur fit fermer les écoles pour économie de chauffage.
Le 26 mars, nouvelle note de la Kommandantur de Cousolre, Rousies ayant été réuni quelques jours seulement à la Kommandantur de Cousolre, note concernant la fermeture des écoles (voir document en annexe) .
En avril 1917, le chef de culture de Boussois réunit les jeunes gens et les jeunes filles de 12 à 17 ans et leur donna des instructions toujours concernant le travail des champs et dont le détail est ci-annexé sous le numéro 6 [note: les annexes n’ont pu être trouvées].
Le 5 juin 1917, nouvelles instructions concernant cette fois la destruction des papillons.
Le 12 janvier 1918, envoi d'instructions aux maires concernant la situation scolaire de la commune.
c) Le commandant de place ne s'est jamais immiscé dans les services de l'enseignement.
Le dernier, c'était en octobre 1918, à son arrivée dans la commune, est venu me rendre visite à l'école. Je me demandais dans quel but. Ce n'était certes pas un combatif, sentait-il déjà la débâcle? Dans les premiers jours de novembre, avant de quitter la commune, n'alla-t-il pas demander au maire un certificat constatant qu'il n'avait jamais ennuyé les habitants. Inutile d'ajouter qu'on ne lui a pas donné satisfaction.
d) Un seul officier se disant docteur est venu le 15 décembre 1915, soit disant pour inspecter les locaux scolaires. Il s'est enquis si nous avions le matériel nécessaire, disant que nous pourrions nous adresser au gouvernement civil s'il nous manquait quelque chose. Mme Pecqueux, institutrice intérimaire, souffrait d'un abcès à la mâchoire, et il voulait lui donner un bon pour consultation gratuite auprès de son collègue chirurgien dentiste à Maubeuge, ajoutant qu'en Allemagne, les instituteurs étaient soignés gratuitement par les médecins inspecteurs. Naturellement Mme n'a pas accepté. « Vous avez peur qu'on vous tue », a-t-il ajouté.
e) Les enfants ont été contraints à certains travaux. En 1917, ils ont été invités à ramasser les glands, moyennant rétribution, ce dont ils n'ont rien fait.
En juin 1918, j'ai été appelé à la mairie par ordre de la Kommandantur pour procéder avec mes élèves à la récolte des feuilles. Ne voulant pas me prêter à cette besogne, il a été organisé une colonne d'une vingtaine d'enfants pris spécialement parmi ceux qui ne fréquentaient pas l'école, et sous la surveillance d'un civil.
Un certain nombre d'enfants furent employés à la cueillette des fruits: groseille, cerises. Inutile de vous dire qu'ils se sont acquittés d'une façon plus ou moins consciencieuse de cette besogne. L'un d'eux, le jeune Bouset Edouard [12 ans], s'est même avisé d'accrocher son récipient au crochet du ceinturon du soldat surveillant, et celui-ci s'est promené de jardin en jardin avec le fameux récipient, au milieu des rires de ses maraudeurs d'occasions. C'était sans doute un père de famille car il prit la chose du bon côté, et se contenta de qualifier l'enfant de « filou ».
Le 12 aout 1918 nous avons reçu des instructions concernant la récolte des fruits. Les enfants furent invités à aller aux mûres mais ils ne répondirent guère à cette appel.
Le 6 septembre, nouvelles instructions. Cette fois nous fûmes mis en demeure d'y aller avec les élèves. Inutile de dire que la récolte fut maigre, les enfants approvisionnant d'abord leurs parents avant de servir la Kommandantur. 40 kilogrammes seulement furent fournis par les deux écoles de Rousies.
f) Le soldat en général fraternisait assez facilement avec les enfants; de leur côté ceux-ci se familiarisaient assez vite avec les troupes, la plupart avaient des soldats chez eux. Un seul fait à signaler, c'était pendant la débâcle, un soldat est entré dans la cour de l'école, d'un air menaçant, il poursuivait un élève qui dans la rue lui avait crié d'un air moqueur « nacht Berlin ».
g) Le séjour des Allemands n'a pas influé sur le parler local. Pendant l'occupation le public s'était accoutumé à faire usage de quelques mots du vocabulaire allemand mais actuellement il n'en reste aucune trace.
II) Ecole des filles de Rousies, dirigée par Aimée Echevin épouse Bourteel.
a) A quelle date les Allemands ont-ils pris possession de votre village? le 8 septembre 1914 (sic)
b) La prise de possession s'est-elle effectuée à la suite de combats sanglants, ou sans coup férir? A la suite des bombardements qui ont fait tomber les forts des environs de Maubeuge, et qui ont amené cette ville à se rendre.
c) Quelle a été l'attitude de l'autorité militaire à l'égard de la population pendant les premiers jours? dans la suite de l'occupation? Plutôt arrogant au début, nous sûmes bientôt par des ordres, des arrêtés, etc, que nous étions sous le joug et que nous devions obéir sous peine de ...
d) pouvez vous rapporter quelques propos authentiques tenus par des officiers ou des soldats, et qui soient caractéristiques de leur état d'esprit ou de l'opinion publique en Allemagne à cette époque? Au lendemain de la reddition de Maubeuge, quand l'armée allemande traversait le village, un officier frappe à ma porte. Ici école? oui. Instituteur Monsieur? non. moi, ah! moi instituteur, nous allons à Paris. Vous n'y êtes pas encore, ce n'est pas tout près! Nous y arriverons, nos 11 corps d'armée entrent en France de tous les côtés. Qui pourrait nous arrêter? Combien d'hommes votre pays peut-il nous opposer? Il n'y a pas d'enfants chez vous, tandis que chaque famille allemande en donne une dizaine à la Patrie. Dans 15 jours nous seront à Paris.
e) Pouvez-vous citer quelques ordres ou prescriptions émanant de l'autorité ennemie, où se manifestait plus spécialement son système de guère aux civils? Toute la population a du fournir des orties sèches, et tous les fruits ont été ramassés. J'ai du fournir aussi mes ruches avec le miel, etc. Les dernières troupes ont brulé une partie de mes tables.
Des rapports de l'autorité ennemie avec la population scolaire.
a) Les établissements d'instruction ont-ils été ouverts toujours ou momentanément fermés, pendant toute la guerre?
L'école a été ouverte en 1914-1915.
du 5 octobre 1914 au 31 juillet 1915.
du 17 septembre 1915 au 29 juillet 1916.
du 22 septembre 1916 au 10 février 1917.
Le 10 février 1917, fermée par ordre de la kommandantur pour économie de charbon. Et nous avions du charbon, qu'il a fallu reconduite au dépôt.
L'école fut reprise le 5 mai 1917 et fonctionna tous les jours compris sans interruption pendant les vacances 1/2 jour par jour par suite d'une instructions venant de la kommandantur.
Ensuite mon école a été occupée par les troupes. A partir de ce moment, les classes se font au patronage prêté pour l'école des garçons. Les filles, les lundi, mercredi et vendredi, les garçons mardi, jeudi et samedi jusqu'à l'armistice.
Nos classes n'ont pas été inspectées par les allemands.
b) Les élèves ont-elles été contraintes à quelques travaux manuels? oui, elles ont du récolter les baies de ronces et framboises, mais elles avaient soin de prendre deux pots, un qu'elles ramenait à la mairie, et l'autre qui allait à la maison. A nous d'abord disaient-elles.
Là, les maitresses devaient accompagner les enfants. Elles ont été aussi à la cueillette des groseilles, des prunes et autres fruits sous la surveillance des allemands du poste.
c) Quelle a été en général l'attitude des soldats à l'égard des enfants? des enfants à l'égard des troupes? Les Allemands en général aimaient beaucoup les enfants. Aussi ne leur faisaient-ils rien de mal. L'un d'eux voulant prendre une petite fille sur ses genoux s'attira cette réponse: " je ne vais pas sur les genoux d'un allemand, moi mon papa est soldat, savez-vous?".
d) Le séjour des troupes a-t-il influé sur le parlé local? Non, à part "Ya", "nix", "firtiche", que les enfants disaient souvent.
Aujourd'hui, rien n'en reste, que le souvenir des mauvais jours.
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