LES CHEMINS DE L'ARMISTICE
Dans la matinée
du 9 novembre 1918, le Maréchal Foch adresse le
télégramme suivant aux
généraux en chef : " L'ennemi
désorganisé par nos attaques
répétées, cède sur tout le
front. Il importe d'entretenir et de précipiter
nos actions. Je fais appel à l'énergie
et à l'initiative des commandants en chef et de
leurs armées pour rendre décisifs les
résultats obtenus". Il sera obéi :
cette journée du 9 novembre verra la
délivrance d'Audenarde, de Tournai. de
Péruwelz. de Maubeuge, d'Hirson. Dans le
même temps. les Serbes entrent à
Sarajevo. Mais dernière victime sur mer, ce
jour-là le cuirassé anglais Britannia
est coulé par un sous-marin. Des victoires,
mais encore des drames...
Celui de Rousies est l'un des
derniers qui meurtriront le sol de France. Le 8, les
Allemands avaient évacué la
localité, incendiant les wagons garés
à la Vaqueresse. Quelques uns
échappèrent au sinistre, et les
habitants purent y trouver en abondance des vivres
dont ils avaient été privés
pendant quatre ans.
Ce samedi 9 novembre, les
Anglais qui tiennent de délivrer Maubeuge
traversent la petite cité ouvrière de
Rousies et poursuivent leur marche vers la
frontière belge. Demain, le territoire du
département du Nord sera totalement
libéré.
Il est une heure de
l'après-midi. Le soleil brille sur la joie des
Roséens, qui étaient prisonniers depuis
quatre ans.
Soudain, un
miaulement déchire l'air. Un obus
tombe près de l'Abreuvoir de la
Solre, mais n'explose pas. Puis un second
quelques minutes plus tard qui secoue le
centre du village d'une énorme
explosion.
Sortie sur le pas de sa
porte, Gisèle Langlois, 15 ans, s'affaisse,
tuée d'un éclat infime dans la poitrine.
Un jeune évacué de l'Aisne qui passe cet
instant sur le pont de la Solre avec ses deux soeurs,
s'écroule, une jambe broyée.
Après un long silence,
le bombardement recommence, le sifflement
caractéristique reprenant toutes les dix
minutes: i1 s'intensifie vers deux heures et,
bientôt une vapeur grise flotte autour des
points de chute, répandant une odeur de
moutarde.
Les gaz asphyxiants ! A
l'angoisse succède la panique... Les habitants
se précipitent dans les caves, dont ils
bouchent les orifices avec des sacs, des couvertures,
des matelas.
Le bombardement dura trois
heures. La gare, le quartier de l'Abreuvoir, de la
Berlandière, la rue de Cerfontaine, avaient
été touchés par de nombreux
projectiles. Quarante étaient tombés
dans la cuvette que forment la Berlandière et
la rue de Cerfontaine, tirés par les batteries
allemandes d'Erquelinnes.
Eugène
Boistrancourt, ancien artisan, âgé
à l'époque de 19 ans,
déporté durant l'hiver 1916-1917, avait
pu rentrer chez lui au début de 1918,
après la bataille de Bapaume. C'est lui qui
raconta cette événement en 1960 :. " je
venais d'aider au transport du jeune blessé sur
le pont de la Solre. Je me hâtais de rentrer
chez mes parents, rue de Cerfontaine, car le canon
continuait de gronder. J'y trouvai mes deux
frères André, 17 ans, et Arnould, 15
ans, et sentant l'odeur étrange qui se
manifestait, je les emmenai en courant à la
ferme Picqueray, au bout de la rue de Cerfontaine
où un vaste sous-sol pouvait abriter de
nombreuses personnes. M. Picqueray et son fils
étaient absents, partis pour la Belgique voir
des parents. Nous nous y retrouvons bientôt 22 :
,Mme Picqueray et ses quatre filles, M. et Mme Dupont
et leurs trois enfants, la famille Arnemann,
Lemaître et Copain, mes deux frères et
moi-même.
Soudain une violente
déflagration ébranle la ferme. Un obus
avait traversé de part en part et
éclaté sur la voûte du sous-sol.
Alfred Defontaine, le domestique de la ferme qui nous
avait rejoints, avait une jambe fracassée. La
petite Denise Dupont, 20 mois, avait eu le crâne
ouvert dans les bras de sa sur Lucie, 10 ans. Il
régna bientôt dans la pièce une
atmosphère suffocante et piquante.
Mon camarade Henri Arnemann,
âgé de 23 ans, nous crie de fuir sur les
hauteurs. Il emporta sur son dos sa mère
âgée de 50 ans, incommodée par les
gaz, au moulin de Cerfontaine, suivi de sa sur
Nelly, âgée de 16 ans. Avec mes deux
frères, j'emmenais le petit Arthur Lachapelle,
âgé de six ans en direction de
Cerfontaine, et là seulement nous nous sommes
retournés. Nous pouvions voir une nappe de gaz
s'amasser dans le vallonnement, comme un brouillard
haut de deux mètres. Nous ne voyions
émerger que les étages des maisons.
Dans ces vapeurs mortelles,
Mme Picqueray et ses quatre filles avaient couru
durant deux cents mètres se réfugier au
presbytère. M. le curé Guyot tenta de
leur donner des soins, mais il était trop tard.
"
Bientôt Mme Picqueray,
46 ans, succombait, puis ses filles, l'une
après l'autre : Mathilde, 21 ans,
Léonie, 20 ans, Eva, 13 ans,
Thérèse, 12 ans.
La famille Dupont
était restée dans la cave autour du
bébé mort. Elle fut transportée
chez Mme Cornuez par des sauveteurs, MM Henri
Bourteel, Valéry Jouniaux, Arthur Nicolas. Mais
Mme Dupont, 34 ans, et ses deux autres enfants, Lucie,
10 ans, Marcel, 6 ans, succombèrent. Le
père, François Dupont, succomba dans
l'ambulance Anglaise qui l'emmenait. en même
temps qu'Alfred Defontaine à l'hôpital
d'Hautmont.
Hélas ce
n'était pas encore tout ! . Mme
Lemaître-Basquin, 34 ans, sa fille Denise, 14
ans, Mme Copain-Gravez, 34 ans, reparties chez elles,
furent retrouvées agonisantes dans leur cave.
Seule Denise Copain, bien que blessée à
une jambe, eut la chance de réchapper à
l'asphyxie.
Après-demain, ce sera
l'armistice, du moins, si le texte de la convention
établi la veille parvient à franchir les
lignes.
Sous le couvert des
chênes centenaires de la forêt de
Compiègne, le calme règne. Le
Maréchal vient de décider que, si le
capitaine von Heldorff ne parvenait pas à
franchir les lignes dans le courant de
l'après-midi, un avion irait en plein jour
déposer le capitaine Geiger à
Spa.
L'appareil est
déjà prêt : c'est un
Bréguet 14 auquel on attache, à chaque
plan, deux bandes d'étoffe blanche. L'avion de
l'armistice porte l'insigne de son escadrille peint
sur sa carlingue : une croix- de Lorraine.
Préparatifs vite
devenus sans objets car l'automobile de von Helldoff
finit par passer sans encombre.
Archives municipales et
départementales, extraits du livre de
François DEBERGH et André GAILLARD, et
La Voix du Nord du 11/11/1960.
Le 7 novembre 1918,
l'avant-garde de l'armée
française, dans son avancée
victorieuse, fait halte à la "Pierre
d' Haudroy", lieu situé sur la route
reliant Wignehies à La Capelle.
Attendus à 16h, c'est finalement
à 20 h 20 que les parlementaires
allemands se présentent au 1er
bataillon du 171ème régiment
d'infanterie de Belfort pour négocier
les conditions de l'armistice. L'officier qui
reçoit le Général von
Winterfeld est le capitaine Lhuillier,
commandant de ce bataillon.
Le 11
novembre, l'armistice est signé au
quartier général du
commandant en chef, le Maréchal
Foch, dans la forêt de Rethondes. A
5 heures, pour être effective
à 11 heures. Deux jours trop tard
pour ces Roséens victimes du fameux
gaz moutarde.
Quelques jours plus
tard, quelques officiers anglais et
français, le maire, son conseil
municipal, les sociétés
locales, les pompiers, et toute la population
très impresionnée,
assistèrent aux funérailles
pendant lesquelles M. le curé GUYOT
prononça une patritique et
émouvante allocution, coupée
par les sanglots de l'assistance. Les
cercueils, exposés à la mairie
provisoire, disparaissaient sous les fleurs
et les couronnes.
La famille Dupont
fut par la suite exhumée et
transportée à Busigny, et
Alfred Defontaine à Bavay.
Quatre autres tombes
au vieux cimetière attestaient le
souvenir de cette tragédie, dont celle
de la famille Picqueray qui recelait cinq
corps. Le mausolée Picqueray
s'effondra par manque d'entretien, M.
Picqueray et son fils, repartis en Belgique
étant décédés. Le
monument, ruiné par le temps, ses
pierres brisées, a été
démonté pour laisser la place
à d'autres sépultures. Lors des
reprises de concessions à la fin de
l'été 2007, cinq corps inconnus
enterrés dans la même
sépulture ont été
exhumés. Peut-être
était-ce ceux de cette famille? A
côté, les sépultures de
Gisèle Langlois et Berthe Basquin,
inhumée avec ses parents, ont subit le
même sort.
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